Savoir orthographier Sisyphe sur un unicorn drink

par Myriam Côté

 

 

 

On parle, ça fait longtemps qu’on s’est pas vues. Tu prends de mes nouvelles : toute seule dans la grande ville, tu te demandes ce que j’ai pu devenir. 

 

Je te dis :

Je suis féministe

j’ai vu Captain Marvel, je conseille la cup à mes amies. 

Je suis intellectuelle

j’ai lu Sapiens, je cite Rousseau, je parle de politique.

Je suis une artiste

j’ai travaillé chez HMV, je reconnais les horloges de Dali.

Je suis écologique

j’own une brosse à dents en bambou, une paille réutilisable.

     

Tu t’étonnes. Je te dis

j’ai même mis un emoji de feuille verte dans ma bio instagram, depuis quelques mois déjà je ne mange plus de viande les lundis. 

On parle, ça fait longtemps qu’on s’est pas vues. J’aime à faire semblant de ne pas connaître les titres de toutes ces séries québécoises que tu me vantes, ces séries quelconques avec Claude Legault, séries que je n’écoute pas parce que je ne n’ai pas de télé, et grand bien m’en fasse de ne pas avoir de télé, tu sais : l’écran fermé, je passerais mon temps à m’y regarder, je manquerais de m’y noyer. Au bout des lèvres, « Miroir, dis-moi qui est la plus belle », la plus jolie de toutes les filles dans les vitrines de Place Sainte-Foy, dans l’écran de mon nouveau iPad rose gold, dans les yeux de mon plus récent match Tinder, l’ami d’une amie d’un collègue de travail.

Je te montre sa photo de profil, je te raconte comment il me dit que c’est donc beau ce que je porte, comment il me le dit toujours avant de me l’enlever pendant que je regarde comment ma peau scintille, comment mes cuisses paraissent toutes petites entre ses mains. 

Non, moi je n’achète pas de décorations chez IKEA, je n’achète rien pour combler mon vide. Je les connais ces filles étouffées par l’absence, moi je n’ai pas de difficulté à rester seule, tellement seule.

Je suis pluguée sur mon cell 24/7, je te l’accorde, mais c’est parce qu’il ne faudrait pas que je manque. Je te demande, entre deux gorgées de mon drink rose, si tu crois que la FOMO est un symptôme de quelque chose dans le DSM-V ou si c’est vraiment un trouble à part entière parce qu’il ne faudrait pas que je manque le nouveau challenge, les stories de mes vedettes éphémères préférées. 

Faudrait pas que j’oublie de faire un autre vidéo dans mon char où je rant sur les gens qui conduisent mal, ce serait dramatique si j’omettais de poster une nouvelle photo de moi avec la température qu’il fait dehors en caption : je suis championne là-dedans, tu sais, suivre la météo en attendant le changement de garde-robes, le changement de saisons, la fin de ma session, la fin de l’année pour aller me faire bronzer à quelque part de chaud pis dire en revenant « maudit que je serais restée là ».

On parle, tu me demandes en riant si, dans de brefs moments d’inattention, la terre ralentit, si elle ralentit assez jusqu’à arrêter de tourner autour de l’éclat de mes dents. 

Je n’aime pas le ton que tu emploies. Ça shake fort tout autour jusqu’à ce que je m’entende respirer par-dessus mon silence. 

Je vérifie mon trait d’eyeliner, l’état de ma repousse. Le vide fait le même bruit que la paille-aspirateur chez le dentiste, dans ma bouche ça goûte le métal froid des premières défaites. Je regarde ma face en contours, avec pas d’yeux mais plein de trous, mon ombre lourde dans le sombre des vitres du Starbucks. 

Tu es silencieuse. Je frotte mes yeux de la fatigue molle qui s’accumule déjà en plis sur mes paupières minces.

Tu ne dis plus rien, alors je te demande – je le vois bien que tu fronces les sourcils un peu, que tu penses toi aussi, que tu t’en veux – je change de sujet, je te demande si tu as essayé les nouvelles bombes de bain du Lush, il y en a plein de nouvelles ces temps-ci, en plus ça fait des belles stories snapchat.

Oui, on peut y aller ensemble, si tu veux : c’est pas pire zéro déchet le Lush.

Laisser un commentaire