Jeter l’éponge et de la poudre aux yeux

On s’apprête à quitter septembre.
Les jours commencent à se fatiguer, ils se ratatinent de plus en plus mais les nuits ne prennent pas encore toute la place. La saison des pommes bat son plein, les citrouilles dorment encore dans leurs champs, et voilà déjà le Dollorama qui exhibe ses boules et babioles de Noël.

C’est avec une vague surprise qu’on constate combien le premier numéro de la revue et les bourrasques trempées d’avril sont loin derrière nous, sans être tellement loin devant. Cette fois-ci, c’est plutôt dans les effluves de café fumant et de cannelle, sous la lumière vacillante des matins de bas de laine, le clavier crunchant de miettes de croustade aux pommes, que nous avons mis au monde ce deuxième numéro de Zeugme.

C’est à la mode de célébrer l’arrivée de l’automne, semble-t-il; ça fait full Instagram. Mais vraiment, sans mentir, c’est notre saison favorite. On ne peut qu’opiner du chef et s’accorder avec la masse quand il est question de reconduire les clichés de septembre (vive les cucurbitacées sous toutes leurs formes, les premiers givres et le linge mou).
Bien sûr, l’été a été beau – il a été affreusement chaud, aussi, et nous avons détesté ça.
Oui, peut-être, sans doute, le soleil nous manquera en février. Mais pour le moment, toutefois, on savoure le bruissement des feuilles mortes et la beauté en transparence des nuages que poussent nos bouches quand le soleil est bas.

Et comme si l’automne n’était pas assez riche en merveilles, on vous offre aujourd’hui un nouveau numéro. Tout beau tout chaud, comme un tray de muffins chaï citrouille 🙂

* * *

S’il faut être honnête, on doit avouer qu’on se surprend nous-mêmes à entrer dans les temps. C’est quelque chose qui nous manque terriblement, le temps, c’est une denrée rare et fugace, évanescente.
Dans les faits, nous avions promis une publication « quelque part en septembre ». Nous y voici, fièrement, et peu importe si c’est le dernier jour du mois, à minuit moins une – à se presser ainsi dans les marges de son échéancier, Z02 nous fait un peu l’effet d’un travail de session ou d’une candidature de bourse, mais en beaucoup plus joli.
Comme quoi, c’est pas parce qu’on devient adultes qu’on cesse d’agir en gamines.

Mais nous avons une excuse, une bonne, comme toutes les gamines de ce monde : c’est que nous revenons de voyage, toutes les deux. Même si ça bouscule un brin la clôture du numéro, cela nous aura au moins permis de côtoyer de près le thème que nous avions choisi, et ce, sans que ça n’ait été prémédité, sans même y avoir pensé vraiment.

En partant ainsi, nous avons souhaité mettre le quotidien sur pause pour quelques semaines. C’est pour ça qu’on s’est mises en marche, chacune de notre côté, en quête d’un petit bout de grandeur du monde. On y a trouvé notre compte, l’une au Pérou et l’autre en Italie; les photos* qui parsèment le dossier vous permettent d’ailleurs d’y toucher un peu, vous aussi (de rien, chers et chères).
En fait, on avait besoin de se détracker pour retrouver le centre des choses. On s’est senties petites dans le paysage immense, on a été minuscules, tellement jeunes en plein cœur de ruines sans âge, englouties dans les foules inconnues, émues dans des églises en lesquelles nous ne croyons pourtant pas.
En voyageant, on s’est remises à l’échelle.

Et sans prétention, juste parce que ça fait un bien fou, on vous souhaite que la lecture de « Z02 – Jeter l’éponge et de la poudre aux yeux » vous fasse un peu le même effet.

* * *

Le plus-grand-que-soi, donc.
Il s’agit là d’une expression vaste et abstraite qui constitue un sujet étrange, on l’avoue; ça déborde de partout et ça manque un peu de pogne, ça peut être beaucoup de choses et rien du tout à la fois. C’est un thème qui terrifie et qui rassure en même temps, qui oppresse et qui élève; c’est un vacuum et un trop-plein aussi fascinant qu’éreintant.

C’est un peu tabou, sans doute. D’expérience, nous avons constaté qu’on ne sait pas toujours comment parler du plus-grand-que-soi. C’est le genre d’idée dont on n’a pas nécessairement envie, que l’on ne sait pas trop comment formuler; probablement qu’on ne sait même pas ce qu’on en pense, vraiment. C’est là, omniprésent, omnipotent; ça loge dans un coin de notre caboche sans que l’on n’y pense, parfois ça flotte fragile sous la conscience et ça s’enfuit d’un jet comme un alevin dès qu’on tente de s’en saisir.

En lui-même, ce thème réveille son lot de contradictions. Personnellement, si on nous le demande, on répond que les fantômes ça n’existe pas; mais ce n’est pas non plus une raison pour faire exprès de les convoquer. On ne croit en aucune force suprême, mais on s’entend pour dire qu’une petite prière n’a jamais fait de mal à personne – nos âmes damnées ne peuvent que gagner des points bénis, si vraiment Dieu nous regarde. On pense qu’il n’y a rien après la mort, mais on espère qu’on a tort; en fait, on aime croire à la réincarnation comme on croit à l’existence de Poudlard (un jour, notre tour viendra).

Non sans surprise, en réponse à l’incertitude qui accompagne le monde immense et les lectures qu’on peut en faire, ce numéro prend donc toutes les directions à la foi**.
Comme souvent en littérature, on ne savait pas trop où ce thème allait nous mener et
au moment d’écrire l’appel, nous pensions surtout voir surgir l’écho de nos propres bibittes. Il est vrai que l’on pense souvent à la mort, à l’infinité de l’univers, à l’irréversibilité des choses, aux envies de religion autant que de table rase; mais les auteur.e.s de ce numéro nous ont plutôt proposé la magie, le mystère, l’amour, l’enfance. Leurs voies de prédilection furent celles de la poésie, mais aussi de la fiction narrative. Il est apparu que l’étrangeté, lorsque qu’on ne sait trop par quel bout la prendre, s’exprime tout aussi bien par la voix du personnage, ce vivant sans entrailles comme le décrit si bien Paul Valéry, ce plus-petit-plus-grand-que-soi.

Pour initier la réflexion, on vous présente donc un chapelet de regards poétiques, de prises de parole et d’histoires à rêver debout; à degrés variés, tous ces textes portent sur ce petit quelque chose qu’on ne comprend pas tellement, mais que chacun ressent quelque part au fond de soi. D’ici et d’ailleurs, des promesses de l’enfance aux amours perdus et à ses fantômes, de la sorcellerie à la légende, de la protection à la destruction complète du monde, nos auteur.e.s ont su présenter une fascinante diversité d’angles d’approche.

Grâce à leur excellent travail sur la langue et le sens, nous espérons voir surgir dans vos têtes plus de questions que de réponses; car il nous semble justement que c’est à ça qu’on le reconnaît, le plus-grand-que-soi.

Nous tenons à remercier personnellement nos collaborateurs et collaboratrices pour ce splendide numéro :
Sebastián Ibarra Gutiérez, Gabrielle Demers, Arnaud Ruelens Lepoutre, David Morissette Beaulieu, Audrey Le Tellier, Hélène Laforest, Jasmine Manseau Khan, Simon Normand et Élise Warren, ce fut un plaisir de travailler avec vous***.

[on ne sait trop comment closer un texte de présentation, c’est notre premier et on manque de rodage, alors on propose de faire comme dans un exposé oral  – il faut bien qu’on en ait retenu quelque chose, c’était tellement déplaisant. Ça va comme suit… ]

Des questions ? Non, pas de questions ? OK, bye.
Merci pour votre attention.

Anne-Sophie Boudreau et Virginie Savard

__________________________________

*On remercie Toby Germain, à qui l’on doit certaines des images du dossier (genre les oranges dénudées et les brumes au pied de la chute de Gocta)

**Il s’agit là d’une coquille (on devrait lire « fois », évidemment), mais ça nous semble trop bien tombé pour la corriger.

***Il est à noter que Virginie Savard remercie Anne-Sophie Boudreau et que Anne-Sophie Boudreau remercie Virginie Savard.
Bien joué, ma chum. / Toé tou xx

Laisser un commentaire