par Geneviève Catta
Consumée est seule
_______________ elle marche
_______________ elle compte
__________________________ les trous d’homme les cannelures dans les trottoirs
ses dents claquent fort
__________________ si fort
elle serre ses mâchoires à deux mains
s’agrippe à elle-même
____________ elle marche
_____________________ dans la rumeur
_____________________ dans le grondement
– sang plein le corps qui lui broie les tempes, sans frénésie mais fort, si fort –
son poste de manutentionnaire a été aboli
l’usine a réorganisé les effectifs
fini les journées entières
___________ _ à se tenir debout
___________ _ à s’engloutir la tête dans le ronron du convoyeur
___________ _ à ficeler des lots à répétition
le bras droit qui trie
le bras gauche qui rabat
le bassin qui bascule afin d’engager les deux mains
qui saisissent dix culottes de couleurs et de tailles identiques
comment tu peux nous faire ça a hurlé Henri quand il a su
comment on va faire a-t-il hurlé
qu’est-ce qu’on va devenir a-t-il hurlé
Consumée a tiré avec dépit sur sa cigarette
______________________________ sans regarder
elle a envoyé le mégot d’une pichenette
– elle s’active, elle travaille, elle sourit, elle cuisine, Henri non –
t’es nulle a-t-il gueulé soudain
devant sa sansevière
embrasée à cause du mégot
et qui flambait
va-t’en a-t-il vociféré à répétition va-t’en va-t’en
vingt-trois fois a compté Consumée
______________________ jusqu’à décider
____________________________________________ à la vingt-quatrième
____________ de le quitter
____________ de sortir sans rien d’autre qu’elle-même
____________ de partir vraiment
____________ de marcher
jusqu’à ce que l’envie d’aller voir la vie ailleurs lui vienne
que déjà elle claque moins des dents
ses tremblements ont cessé
____________ marcher met au net la blessure
ne te brûle pas toi aussi lui a dit son amie
qui l’attend chez elle
déjà un passant ralenti à sa hauteur
et elle embarque dans le champ de son ombre.