ZO1. Toucher du bois et des cordes sensibles

Comme la plupart des choses importantes dans nos vies (dans la vie), Zeugme est née d’une envie profonde combinée à un coup de tête. Un alliage champion de tripes et de raison.

En partageant un bureau où nous n’écrivions pas nos maîtrises, nous avons eu amplement le temps de divaguer sur la grâce des dinosaures, l’anxiété, le procédé de lactation des ornithorynques, les plantes qui meurent tout le temps, les antidépresseurs, les ritalins, le sexe des poissons rouges, l’origine des expressions populaires, le syndrome de l’imposteur, la réalité du réel, les photos de chat, les doutes existentiels, la vie après des études qui mènent à pas de travail, les pokémon. De nos conversations ont émergé un sentiment qui combine l’absurde, l’attachement nostalgique, la peur et l’amour.

Il est communément admis que parler de nos faiblesses, de nos obsessions, c’est quelque chose qu’on évite de faire en public. Bien qu’on ne maîtrise pas toute la terrible complexité des normes sociales, celle-là au moins nous l’avons bien comprise : dans le doute, sois heureux.se et tais-toi. Tou.te.s, on propose généralement une image infaillible de soi-même. Ou lisse, du moins.
Mais avec notre infinie sagesse de cour d’école et notre œil de lyncée, on a remarqué qu’au moment où on se met à parler de nos fêlures, on parvient à éclairer celles des autres, on se sent de moins en moins inadéquat.e.s. C’est que l’on vit tou.te.s avec un degré plus ou moins grand de maladie mentale, on apprend à se gérer comme on peut.
Et nous, notre manière de vivre avec nos turbulences – mis à part la médication ou les seins réconfortants de Maman – c’est de lire et de s’écrire.
On aime les mots, voilà.

On aime les histoires de jeunes filles en fleurs ou de sorciers célèbres, les drunk texts, les poèmes d’enfance ou de forêt boréale, les coin-coin de carton qui coupe les pouces, les chansons à répondre, les titres, les consignes au tableau, les pages présentation ou les notes d’adieu. À dire vrai, on n’est pas tellement difficiles.
Les mots offrent tant de possibilités.
De toutes les figures de style, notre pref, c’est le zeugme. Parce que déjà, ça s’appelle zeugme… Zeugme. Ça grince, c’est beau. C’est un mot plein de bosses et de grafignes, ça frotte sur les gencives ça butte sur les dents du devant mais ça finit en douceur sur la langue, et ça s’évanouit en laissant une drôle d’impression de mollesse, comme s’il ne s’était rien passé du tout.
Mais pas juste ça. Le zeugme est aussi merveilleux parce qu’il est l’union de deux bouts de phrase qui se rapportent au même, mais dont l’association est improbable. Il forme comme un pot cassé dont les morceaux épars seraient rabibochés à grandes lampées de colle forte, apparentes. Un zeugme, ça déstabilise, ça surprend, ça fait dire « ah! bin coudonc » avec un haussement d’épaules.

Tout à la fois, ça marche ça ne marche pas.
Un peu comme nous, au fond.
C’est genre magique.

* * *

Dans ce premier numéro, l’idée c’est de laisser les choses se placer sans trop forcer, de donner le ton et la direction tout en restant joliment random (c’est à ça que servent, après tout, les premier numéro). On veut de l’émotion, parce qu’on est de même (et parce que l’émotion fait vendre, ne nous leurrons pas : Les Feux de l’amour, ça joue depuis 73). On veut du beau et du laid, du très grand et du tout petit, un beau ramassis d’un peu de tout, tant que ça nous fait sentir vivant.e.s. On veut vous faire tomber en amour avec nous si on le peut, pour vous accrocher et vous faire revenir, pour que tout finisse dans nos bras amarrés, et parce qu’on aimerait ça en faire quelques-uns, des numéros.
Please ?

En touchant du bois et des cordes sensibles, on espère pour le mieux, on se croise les doigts pour que les textes présentés ici fassent leur chemin jusqu’à votre ventre, pour qu’ils s’y nichent et fassent des petits. On se souhaite nombre de suites éventuelles, qui arriveront peut-être à ouvrir la porte à une expression sensible qui ne trouve pas toujours sa place dans nos cases d’agenda.
Pour ce premier numéro, on flush les masques d’orgueil, on creuse creux pour trouver notre Lindâ championne du monde de dedans notre dedans. On se met à l’aise et on s’entoure de gens splendides, qu’on aime déjà et dont les mots rendent le monde plus vivable, plus viable.

Et c’est signé :
les fondatrices, Anne-Sophie et Virginie (qui, malgré ce titre un brin pompeux, avouent n’avoir jamais posé d’autres bases que celles qui structurent un texte ou une relation à distance – elles n’ont fondé ni ville ni parti, juste un blogue, mais c’est déjà plus que rien)

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