par Cédric Trahan
j’ai passé deux heures chez le fleuriste
après t’avoir quitté toi et les autres garçons
deux heures à collectionner les plantes
deux heures à choisir
des amours muets
j’ai hâte de les voir s’entortiller
s’étendre vertes
ramper vertes
le long des murs et des peaux
j’ai hâte de fermer les yeux
entendre leur respiration
s’emparer de la chambre
de chaque pore de la chambre
j’avoue
parfois
j’ai un peu peur
de fermer les yeux
de confondre ton souffle et le leur
le long des murs et des peaux
chaque jour
j’ouvre les rideaux de soleil
je verse de l’eau tiède
chaque jour
je prends le temps
de les observer pousser
se presser vertes
s’enrouler vertes
autour de mes orteils
mes épaules
ma gorge
je ne sais pas pourquoi
mais après quelques semaines
elles échouent toutes
sur le bord de la fenêtre
le bord de mourir
je n’y arrive pas
pourtant
j’ouvre les soleils
je verse les soleils
je crée des calendriers
qui déclenchent les mêmes alarmes
que celles dans tes mots
je n’y arrive pas
ce n’est même plus un jardin
ça n’a jamais été jardin
qui poussait autrement
qu’à travers la gorge
je n’y arrive pas
tu me dis
c’est sûrement la faute de la lumière
la cruelle lumière
la lumière coupable
c’est sûrement aussi de ta faute
ce qui en toi fait faner les fleurs
la faute des garçons
de leur aura virile et verte
fleur de fleurs médusées
demain
je vais y retourner
je vais la recommencer ma collection
demain
je vais vraiment devenir botanique
déjouer l’aura virile et verte
des autres garçons
ceux qui oublient
ceux qui ignorent les langues muettes
ceux qui n’écoutent pas
le travail invisible des fleurs
demain
j’aurai une tête différente de la tienne
une tête qui ne craque pas
sous la charge verte
sous la charge mentale
je veux devenir botanique pour vrai
soigner vert
ménager vert
résister à la mémoire
des hommes
c’est difficile
et étrangement
ces jours-ci
quand je pense à toi
j’ai un petit labyrinthe de plantes
une toute petite serre
dans la poitrine