Faire du tourisme en converses encore blanches

par Karolann St-Amand

 

 

 

[Note de l’auteure]

Hector Ruiz et Dominic Marcel, dans Lire la rue, marcher le poème, définissent la déambulation littéraire « comme une traversée des sens entre territoire et texte, comme un moyen d’activer la sensibilité et d’expérimenter un déficit; une marche déambulatoire nécessite un état d’esprit de disponibilité pour un laisser-aller du corps et de l’esprit. »

Faire du tourisme en converses encore blanches est le résultat de déambulations, d’errances un peu partout dans Montréal, d’une poétisation autant de lieux inconnus que d’endroits fréquentés à répétition. L’idée est de se laisser contaminer par ce qui nous entoure, d’ancrer un corps dans le territoire dans lequel il évolue, de faire l’expérience de la textualité des lieux. L’écriture se fait toujours en deux temps. Le processus relève d’abord de l’observation, d’une prise de notes à partir de tout ce qui est possible de croiser, que ce soit entendu ou vu, comme une lecture de l’environnement. Le deuxième temps est celui de la rédaction même et se fait par une lecture desdites notes comme si, en fait, la construction du texte passait par une relecture de fragments mis bout à bout ou réorganisés d’une toute autre manière, à la manière d’un bricolage.

 

 

Arrondissement de Verdun

Tu habites le bitume le trottoir se nourrit de pain blanc coupé en triangle sur le top du container une bottine rose attend d’être retrouvée.

La première marche en terrain inconnu le festival du grillage et des barricades rouillées tes graffs couvrent les vitrines les lampadaires debout dans l’embrasure des portes d’épicerie en face au feu Dunkin Donuts les 80s en déchéance.

Au tournant de la ruelle tu m’enveloppes sous vide.

 

Zone

 

Avenue Mont-Royal

Le métro ses cinquante nuances de brun l’unité d’urgence en stand-by permanent je fais la ride de bus à pied mon coat de jeans en février avec la clémence de la température j’écoute le froissement tiède d’une voiture qui monte la rue.

Des boîtes des valises en file indienne au bord de la ruelle un sac de ma vie recyclée je patiente t’attends devant un commerce au détail à louer un espace nomade pour toi le suspense d’une énième vie je suis un livre usagé.

 

Ruelle

 

Intervalle : Ligne orange

À l’heure de pointe une compétition de slalom sur quai bondé un cirque burlesque où chacun passe inaperçu des passagers en transit piétinent la floraison de mégots devant les portes tournantes.

Ta valise tes sacs d’épicerie me bloquent le chemin je marche en ton ventre sur un tapis de journal Métro les publicités se suivent les couleurs se brouillent les marguerites placardées émergent d’une piscine de lait bleu vert m’intiment à courir vers elles.

Les stations arc-en-ciel se succèdent les conversations futiles pour remplir l’attente de notre destination tu cours je sors.

 

Shoes

 

Plaza St-Hubert

L’air humide du soir un mince cadre de lumière autour de toi du textile à la chaîne sur 1.2 km un catwalk à ciel ouvert la pelle mécanique parkée à l’infini au milieu de l’échiquier de cônes orange sur la Plaza des blocs de ciment et des sapins de noël frêles en alternance.

Un pigeon me suit à la trace l’autre zieute ton trio all-dressed avec un extra ongles acryliques les vitrines se répètent « entre voir mes spéciaux » sur les affiches superposées Montréal stroboscope les néons flashent une boutique sur deux.

 

Plaza

 

Chemin de la Côte-des-Neiges

Le soleil descend la pente il manque une roue à mon vélo l’oiseau essaie d’avaler les pommes en bronze ancrées sur les tables en béton tu pleures le jour dans la file de la 165-N me bloque toujours la route.

Méga liquidation de literie dans la buanderie du sous-sol le laboratoire a déménagé au parc Ronald parce que la pauvreté est en métastase une clinique en symbiose avec les trottoirs bien réverbérés où je survie à ta nuit.

 

Intersection

 

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